Conclusion

Le jeu de proximité ou d’éloignement qu’Abe Kôbô instaure entre son œuvre et le lecteur amène celui-ci à évaluer la situation fictionnelle pour mieux critiquer sa propre réalité. Ce va-et-vient incessant est renforcé par-delà l’auteur par des défauts du texte. Les coquilles (telles que « poison rouge » p.41 au lieu de « poisson rouge » ; « dont dû passablement vous écœurer » p.110 au lieu de « ont dû » ; « qu’en clin d’œil » p. 140 au lieu de « qu’en un clin d’œil » ; l’espace superflu dans « tout-à-l’heure » ou encore « l’immense désert d’étend à perte de vue » p.162 au lieu de « s’étend à perte de vue » pour ne citer que celles-ci) sont assez nombreuses pour un ouvrage relu et publié et font trébucher le lecteur régulièrement. Si ce trait de l’édition est pénible au premier abord, il contribue accidentellement à l’œuvre, contre toute attente, en forçant le lecteur à prendre une certaine distance par rapport à ce qu’il lit et en favorisant la lecture critique de cette nouvelle très dense, tant d’un point de vue de l’enchaînement des situations que des questions qu’elle soulève.

La lecture de cette œuvre est un paradoxe en soi. A la fois difficile de par la démarche philosophique de l’auteur et son recours à l’absurde, elle n’en est pas moins hypnotique pour autant. Il s’agit d’une remise en question permanente sur des sujets existentiels tels que la place de l’Homme par rapport à lui-même, mais également par rapport aux autres, la vie, la mort… Ceux-ci sont mis en corrélation avec d’autres thématiques souvent manichéennes comme par exemple : la lumière/l’obscurité, Les objets inorganiques / l’être humain, la réalité / l’imagination. De tels sujets sont généralement assez tranchés et pourtant, Abé Kôbô subvertit ces idées par le bais d’une « lueur qui éclairait sa nuque » « au milieu des ténèbres » (p. 118), par des accessoires vestimentaires ou un automate empreints de conscience et de volonté, par une imagination collective qui remplace rapidement la réalité…et finalement par un mur qui croit dont on ne sait plus vraiment s’il vit ou s’il subit. C’est une lecture parfois délicate qui ne laisse pas indifférent et qui donne envie d’aller plus loin en compagnie de cet auteur.


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